
Vous connaissez la revue Ecuador Infinito ? C'est un nouveau magazine équatorien, style GEO, qui s'est créé il y a deux ans et qui cherche à montrer tous les charmes de l'Equateur. La qualité de la revue, des photos, de l'impression... m'ont tout de suite séduit. En juin dernier, j'ai rencontré le directeur général Rómulo Moya Peralta pour lui montrer mes photos. Il les a aimées et m'a proposé de faire un reportage sur l'andinisme en prenant mes photos et mon texte. Voici donc les 10 pages de l'article traduit en espagnol et en anglais et qui sort dans le numéro d'octobre 2009. Surprise : une de mes photos a été choisie pour faire la couverture !
Au bout de chaque rue, un volcan
Dès mon arrivée à Quito, l’omniprésence des volcans m’a tout de suite impressionné. « Au bout de chaque rue, un volcan » aurait dit Stendhal s’il avait séjourné dans la capitale. Le Pichincha surplombant la ville, le Cotopaxi, superbe depuis le parc de la Carolina, le Cayambé, visible entre deux eucalyptus du Metropolitano, l’Antizana souvent caché par les nuages matinaux... Pourtant, lorsque j’en parle avec des quiteños, ces sommets restent souvent bien inaccessibles. Le plus proche est le Pichincha avec son parc d’attraction à son pied, son téléphérique gravissant son flanc et ses restaurants à plus de 4000m. Mais pour tous les passionnés de montagne, il est évident que ce volcan ne peut suffir à assouvir leur soif de découverte. Rapidement je trouve un groupe d’amis et nous enchaînons les sommets les uns après les autres. Au fur et à mesure des ascensions, les liens entre compagnons de cordée se solidifient, les complicités se font plus fortes.
Pour espérer côtoyer les 6000m, il faut dormir entre 4500 et 5000m. La nuit est courte et le sommeil est difficile à trouver à ces altitudes. Mais vers minuit, alors qu’au lointain, je peux distinguer les lueurs festives des grandes villes, les efforts nocturnes commencent dans un air où l’oxygène se raréfie inexorablement. A la lueur de la lampe frontale, vêtus de multiples épaisseurs, casqués, harnachés, nous cheminons à pas lents et chaloupés, en une longue procession silencieuse. A l’approche du glacier, les cordées se forment, les piolets sont dégainés, les crampons acérés sont fixés aux pieds et l’assaut peut commencer. Les plus expérimentés marchent en tête et cherchent prudemment le meilleur chemin en contournant les zébrures sombres des crevasses. Il faut se concentrer sur l’effort, sur le souffle qui devient plus court. La cadence est monotone, je compte mes pas et à chaque expiration, je gère ma pulsation cardiaque. Mes pensées se perdent, givrées par le froid mordant d’un vent amazonien. Après des heures passées à lutter contre la torpeur, contre l’envie de redescendre, d’arrêter cet effort sans fin, le jour se lève et le ciel s’embrase. L’espoir renaît alors et le sommet semble plus proche. Je distingue mieux autour de moi les crevasses profondes mais tout aussi inquiétantes et nous continuons notre lente ascension en serpentant sous les séracs menaçants, énormes blocs de glace prêts à se décrocher à tout instant. Pourtant la vie parfois réapparaît : un renard des neiges, sorti de nul part, des rapaces tournoyant au dessus de nos têtes.
Enfin au détour d’une crête, nous atteignons le sommet. Chacun de nous laisse exprimer sa joie. Un grand soulagement m’envahit, me laisse hagard, le regard perdu dans l’immensité de l’horizon, survolant l’allée des volcans, des nuages de l’Amazonie jusqu’aux brumes du Pacifique. Là, heureux d’avoir couronné ce volcan, je pourrai y rester des heures si le froid ne venait pas envahir brusquement mon corps inactif. Nous redescendons alors vers la vallée baignée dans la lumière chaude et matinale. Quel plaisir de retrouver le paramo verdoyant. Grogui par l’altitude, vidé par l’effort, affalé sur le sol, je redécouvre les délices d’une gorgée d’eau pure, les saveurs d’un gâteau au miel ou le soulagement de poser un sac et de dénouer mes chaussures. Chaque geste simple réapparaît avec toute son importance.
Mais alors, que sommes nous allés chercher sur ces glaciers, conquérants inutiles de tous les temps ? Que cache ce rituel à chaque ascension ? Peut-être pour se surpasser, pour se sentir vivre ou tout simplement pour partager à plusieurs l’émotion suscitée par les premières lueurs du jour, par cet éternel recommencement dans cet univers de roche, de glace et de froid. Lieu tout à la fois inhumain et magnifique, incroyablement colossal et paradoxalement si fragile, si sensible au rayonnement solaire… Après avoir volé une petite partie d’éternité à la montagne, étendu dans l’herbe, sous le soleil, je renais.